Epreuve finale présentée par Prof.Ing.Brison G. pour l'obtention du titre de Bacchelier en Psychopédagogie* : (*équivalence des titres européens par le traité Bologne - 19 juin 1999)
Grégory Brison, ingénieur industriel de formation, cinq ans d’expérience professionnelle dans le privé où il a également enseigné en interne pour la formation des cadres . Deux ans d’expérience comme enseignant, actuellement acteur pédagogique au sein de l’institution catholique ‘Institut Saint Gabriel’ à Braine-le-Comte, il dispense les cours de dessin technique, technologie, électricité et mécanique appliquées au second et troisième degrés de l’enseignement technique et professionnel en gardant la conviction de réussir sa mission périlleuse mais aussi d’assurer la qualité philosophique du message de citoyenneté dont l’école doit être garante.
1. Introduction
Malgré les derniers programmes pédagogiques mis en œuvre ces dernières années et le projet de revaloriser les enseignements qualifiant et professionnel sur du long terme, les questions simples posées par ces élèves dès le début de ce travail présentent une dimension pédagogique complexe, voir une situation quotidienne d’apprentissage souvent inadaptée par nos institutions par rapport aux besoins de terrain de ce type d’enseignement. Pourtant, ce qui apparaît dans les répliques de ces élèves, c’est principalement le désir de privilégier leur choix en tenant compte de leur besoin. En dehors de toute critique sur la constitution des programmes pédagogiques, qui ne fait pas l’objet de cette démarche, l’auteur souhaite sensibiliser le lecteur sur le fait que ce désir de réponse est d’autant plus marqué au niveau de l’enseignement professionnel car il est renforcé par le besoin de concret opérationnel.
Une solution possible : « Ne serait-il pas intéressant d’envisager chaque cours en expliquant sa raison d’être à l’apprenant par la mise en pratique immédiate en introduisant l’apprentissage personnalisé ? ».
‘Personnalisé’, non pas pour ajouter uniquement une dimension de valorisation humaine mais surtout pour que chacun puisse acquérir le savoir à son propre rythme d’évolution.
A travers cet ouvrage, respectons l’idée de Maître Meirieu en préconisant la pédagogie différenciée comme une réponse possible et non une solution miracle démagogique qui viserait à détroner d’autres idées.
La proposition dans cet ouvrage est d’aborder la pédagogie différenciée, de l’appliquer à une classe d’enseignement professionnel dans le cadre d’un cours de dessin technique, d’en tirer les constatations et les aspects métacognitifs ainsi que les grandes lignes générales de tout principe basé sur une hypothèse. La motivation découle de l’action pédagogique proposée, elle ne constitue en aucun cas le sujet principal de cet ouvrage, c’est l’acte pédagogique correctement mené qui l’induit et non l’inverse.
2. Cadre théorique
Facteur conscient ou inconscient qui incite l’individu à agir de telle ou telle façon. Motiver un cours, c’est le justifier, en montrant son intérêt. Motiver des personnes, c’est leur donner des raisons de ressentir, de penser et d’agir.
La motivation est donc au cœur de la relation éducative puiqu’elle est le paramètre primordial du tripôle pédagogique Enseignant-Savoir-Apprenant.
Les motivations sont liées au vécu de l’individu. L’élève doit se sentir acteur et maître de son destin, c’est le premier critère d’une motivation réussie.
o Former les élèves, leur faire découvrir la richesse d’une discipline, les rendre capable d’agir individuellement, de gérer leur propre emploi du temps et de s’auto-évaluer afin de renforcer en boucle cette motivation.
o Valoriser l’enseignant, se faire écouter et respecter en sachant que l’on dispense un ‘savoir’ et un ‘savoir-faire’ qui déboucheront sur un ‘savoir-être’.
o Aboutir à l’autonomie de l’élève.
Avant toute chose, l’élève doit recevoir un objetif pour valoriser l’activité qu’il met en place.
Il faut aimer la matière que l’on enseigne avant de vouloir susciter toute forme de motivation chez les autres en donnant des arguments rationnels et subjectifs sur le ‘pourquoi’ de la présence du cours dans le programme pédagogique de façon à rendre cette matière utile et intéressante (perception de la valeur de l’activité).
Les expériences personnelles du professeur valent de l’or et sont plus susceptibles de susciter la motivation que tout discours élaboré sans point de rattachement à une expérience professionnelle utile.
Les objectifs définis doivent être perçus comme réalisables par l’élève et non comme une quête impossible et diffuse (perception de compétence).
La démotivation de l’élève vient du fait qu’il n’a pas l’occasion de combler ses besoins et ses propres demandes en tant qu’apprenant.
L’élève doit pourvoir agir librement sur la séquence de cours en posant des questions sans être confiné à écouter un message imposé.
La motivation personnelle affective de l’élève vient de lui-même ; néanmoins, le rôle du professeur est de la susciter au maxium.
q Au début du cours, en précisant les objectifs, valorisant l’utilité de la matière et son importance via un maximum d’exemples pratiques et concrets du quotidien.
q Pendant le cours, en questionnant les élèves et en leur laissant le maximum de champs pour que puissent émerger leurs perceptions libres, en variant les supports didactiques, en donnant des exemples issus de leur quotidien et en leur demandant de trouver eux-mêmes des exemples.
q A la fin du cours, en synthétisant ce qui a été vu et en évaluant par des commentaires constructifs les progrès réalisés par l’apprenant.
q D’un point de vue ‘social’, en suscitant l’entraide entre élèves (selon leurs connaissances) pour relever des défis et les résoudre en équipe.
q En observant la progression de chacun par ‘fichiers différenciés’ laissant l’élève évoluer à son rythme pour atteindre les compétences demandées.
*Intérêts et préoccupations librement exprimés, basés sur un présavoir implicite en vue d’élargir ce savoir existant.
2.2 La pédagogie différenciée
Comment allons-nous mettre en œuvre ces cinq étapes ?
Par quelles méthodes et techniques ?
Pécaut disait : « Il vaut mieux un savoir médiocre dans lequel l’apprenant puisse se mouvoir, qu’une tonne de savoir dans lequel il est perdu ! »
Comme tout est centré sur la formation de l’apprenant, ce ne sera que peu à peu que le formateur modulera l’information sur les contenus et les techniques à transmettre en suivant les étapes suivantes :
Soulignons que ces étapes doivent rester principalement sous le contrôle du maître, il ne doit rien céder aux pressions des élèves. On ne transige pas au niveau des objectifs. Les expliciter, c’est fixer d’entrée les règles du jeu.
Pour faire connaître l’esprit du cours et ses objectifs, on peut pratiquement apprendre à l’apprenant :
· à exploiter la richesse de la classe.
2.2.3 Structurer l’apprenant en guidant et suscitant le progrès
Il peut à ce stade reprendre une consigne mal comprise, donner une explication ou un renseignement personnalisé ou encore simplement répondre à une question d’un élève.
A ceux qui auront terminé les premiers, le maître proposera un exercice supplémentaire d’approfondissement de la matière; aux plus lents, il leur donnera le coup de pouce nécessaire pour avancer plus vite.
2.2.4 Evaluer l’apprenant
2.2.5 Rémédier
Il est intéressant à ce stade de donner le feed-back d’une évaluation sommative antérieure afin que l’apprenant puisse comprendre ses erreurs et ne plus les reproduire.
A ce moment, un élève peut en comparant son évaluation aux objectifs préalablement définis voir où il en est et même apprendre à s’auto-évaluer et détecter ses futures erreurs.
2.2.6 Stratégies induisant la motivation
2.2.6.1 Au niveau du formateur :
Il y a des professeurs qui ne risquent pas de nous emporter; ceux qui, un jour, se sont réveillés professeurs en voulant imposer leur message sans se souvenir qu’ils ont été élèves auparavant, ceux qui sans enthousiasme donnent un cours sans variation d’intonation et ceux qui pensent qu’il est inutile de continuer à apprendre.
Philippe Meirieu affirme : « C’est seulement si je suis capable d’être un peu en toi, de m’y implanter, pour apprendre la mesure de ton désir, que j’ai quelque chance d’y implanter un peu de mon savoir ».
Bien sûr, il y a les méthodes (de questionnement, de recueillement des perceptions libres,…) mais l’humilité, le respect empathique de l’autre dans l’écoute, le discours convainquant, la clareté des explications, les variations d’intonation et l’humour sans prendre ses discours trop au sérieux sont des armes fulgurantes de l’enseignant pour susciter la motivation des apprenants. Tel un acteur, il doit être également suffisamment charismatique pour se faire apprécier, respecter et écouter. Ce n’est qu’en combinant certaines de ces armes décrites à son amour pour la matière qu’il enseigne que le professeur peut déclencher l’étincelle.
L’enseignant doit être confiant dans le potentiel de ses élèves en leur manifestant cette confiance et en leur montrant qu’ils sont capables d’apprendre et d’appliquer leurs savoirs.
L’erreur classique de l’enseignant est de chercher à amadouer les élèves quand il aurait fallu faire preuve de fermeté et de les sanctionner quand il aurait fallu les écouter. Un bon dosage de cette gestion relationnelle accroît la motivation de l’apprenant car il est source d’un déclenchement de l’apprentissage ou source d’un repli.
2.2.6.2 Au niveau du savoir :
L’objectif de l’apprenant est d’acquérir un savoir, il convient donc de penser qu’à ce stade, la façon de réceptionner le savoir va varier d’un individu à l’autre. Tout est une question d’un ajustement méthodologique permanent intégrant les éléments du §2.2.2.
Telle méthode peut ne pas fonctionner avec l’un et dans ce cas, il est capital de ne pas se borner sur cette méthode déployée mais d’en chercher une autre avec lui plus adaptée à ses besoins.
On peut par exemple quitter le champs de la matière pour faire une analogie avec quelque chose de concret que l’élève connaît pour effectuer un rapprochement plutôt que de se centrer sur les termes stricts qui, parfois même s’ils sonts concrets pour le maître, apparaissent de toute évidence comme abstraits pour certains apprenants. On sait qu’il est toujours bon pour que le transfert d’un savoir s’opère, d’aller du concret vers l’abstrait, on élimine de cette façon l’installation d’un climat morose de désintérêt.
Pour Philippe Meirieu, l’abstraction des concepts constitue l’accès à la liberté.
2.2.6.3 Au niveau de l’apprenant :
Même si le cours est difficilement perçu car imposé sans raison évidente par un programme pédagogique divers, l’elève doit ressentir la perception d’utilité, que le savoir qui lui sera transmis va lui servir et ceci même s’il n’en appliquera réellement qu’un faible pourcentage dans sa future carrière professionnelle.
En effet, les liens interdisciplinaires nombreux et la nécessité d’avoir une instruction polyvalente minimale doivent motiver l’enseignant à déclencher ce ressenti.
Exemple : Même si un individu entreprend des études de soudeur, il semble utile de lui expliquer le lien d’un cours de français en techno-soudage de manière à ce que les autres le comprennent lorsqu’il s’exprimera.
Le maître argumente : « Quand tu rencontreras un patron ou une femme,… ta connaissance pluridisciplinaire se ressentira de suite dans ta façon de t’exprimer et donnera envie à la personne de mieux te connaître».
On est ici entre les deux pôles du rôle de l’école : « savoir à transmettre » et « citoyenneté responsable à inculquer ».
Il est intéressant de prévoir un pourcentage de temps du module de cours pour rendre les élèves responsables d’un projet afin de mettre en place des activités susceptibles d’apporter un éclairage interdisciplinaire et une dimension expérimentale aux programmes scolaires. Les élèves peuvent être acteur d’un projet qu’ils ont eux-mêmes choisi. Responsabilisés, ils ont tendance à s’investir de manière concrète sans devoir subir toute forme impositive.
3. Cadre expérimental
Le cadre théorique précisé, voyons comment mettre en application cette pédagogie sur la leçon décrite en annexe (sujet : « Coupes simples » - cours de dessin technique à une classe de 5ème professionnel mécanique).
Avant d’aborder la leçon, il est important que les prérequis : ‘savoir dessiner et savoir lire les trois vues de base d’une pièce mécanique incluant les cotations’ soient maîtrisés.
En principe, les deux années de dessin technique (3P et 4P) à raison de 2 heures par semaine servent à établir ces prérequis. Durant ces deux ans, on démarre des pièces simples pour aller vers des pièces plus complexes qui forment la vision spatiale des élèves. En 5ème année, on aborde des pièces pratiques (arbre, alésage,…) et non plus des formes concrètes purement théoriques.
Je me souviens qu’un seul élève cette année présentait un niveau de prérequis inférieur au niveau demandé. Je l’appelerai Kévin, adolescent difficile, se démotivant très vite et chahutant dès que l’incompréhension s’installe. Estimé turbulent par le corps des enseignants, une non réinscription fut d’ailleurs prononcée en mai pour l’année académique 2006-2007 mais la décision de lui laisser finir cette année fut prononcée à l’unanimité.
Cet élève vient au cours sans conviction, ni motivation, il déteste l’école, il dit ne rien comprendre et son comportement difficile et très peu appliqué n’arrange rien à son cas. Il fut en échec toute l’année et reçu un AOC. Cependant, lors de l’examen de juin en dessin technique, il me fit 34,5/60. Comment un garçon qui ne comprend rien, qui ne veut pas travailler peut réussir l’exercice non des plus simples demandé en juin ?
Essayons d’expliquer comment, en développant la pédagogie utilisée avec cette classe, l’étincelle de Kévin a peut-être pu se déclencher en fin d’année. Certes trop tard par rapport aux résutats globaux insatisfaisants et à la décision du conseil disciplinaire mais je n’ai jamais cru que cet élève était inférieur, je dirais simplement paresseux et épuisant.
3.2 Déroulement méthodologique
Avant toute chose, cette leçon s’inscrit dans le cadre d’une année complète où d’entrée, dès les deux premières heures de cours, je souligne l’importance du dessin technique par rapport à cette option de mécanique polyvalente : « le dessin technique est incontournable, il est un langage universel que les ingénieurs, les architectes et les techniciens utilisent pour communiquer entre eux ». Réalisé sur la planche à dessin ou via un logiciel informatique, il permet de fournir une description visuelle d’un objet ou d’un mécanisme avant même sa réalisation.
« Que vous alliez chercher des pièces automobiles chez un concessionnaire, l’écran d’ordinateur affiche les vues 3D de ces pièces, voir même la vue éclatée de leur positionnement dans un mécanisme ».
« L’électricien, qui doit maintenir ou installer des cables électriques, a besoin des schémas de principe, unifilaire, multifilaire ou encore d’implémentation».
« Si vous installez une cuisine équipée chez vous, vous êtes de suite soumis au dimensionnement et aux contraintes tridimensionnelles».
« Lors de la réalisation d’un bac tiroir de récupération de cendre pour un feu au bois, vous devez connaître les dimensions et quelles pièces souder l’une à l’autre».
« Lorsque vous tournez ou alésez une pièce à l’atelier, vous devez connaître les cotations tolérancées et visualiser la pièce à usiner ».
« Pour réaliser des travaux de voirie, vous devez connaître la position des conduites d’adduction d’eau et de gaz ».
Les coupes
Ø Entrée en matière : a) Mise en situation
Il est intéressant à ce stade de collecter les perceptions libres des élèves en notant au tableau au moins une idée de chacun. Une fois collectées, le professeur discute de chaque perception en les analysant avec les élèves.
Le professeur conclut ensuite à l’utilité des vues en coupe.
Je préfère leur annoncer la couleur d’entrée en leur disant que les quatre feuilles de théorie (voir feuilles en annexe) précédant l’exercice ne doivent pas être connues par cœur mais comprises pour être consultées ensuite lors de la réalisation individuelle de l’exercice demandé. Je vais essayer de limiter le temps théorique à 30-40 minutes maximum car après ce délai, une classe de professionnel ne perçoit en général plus l’utilité d’un discours mais est désireuse d’une mise en application.
1. Définition (lecture individuelle des élèves puis lecture des définitions par le professeur).
2. Etape de réalisation (explication de la réalisation d’une vue en coupe par le professeur).
A ce stade, je dois être sûr que chacun a compris le principe, l’illustration du concept par le schéma clair de la page 2 en annexe induit la motivation sur l’exposé.
Par conséquent, je vérifie la compréhension du concept en leur demandant de me dessiner à main levée une coupe centrale d’une pièce creuse se trouvant dans la classe.
3. Phase d’exécution d’une vue en coupe.
Il s’agit ici de comprendre comment on va réaliser le dessin de la vue en coupe de la pièce coupée au point 2.
Je leur explique qu’il faut indiquer trois éléments sur le dessin : a) le plan de coupe
b) l’endroit d’où l’on regarde la coupe
c) les hachures là où la pièce est pleine suivant le schéma de la page 3.
Ici, je peux leur demander de redessiner la pièce du point 2 avec l’axe de coupe et les hachures en leur demandant de positionner la vue de coupe avec les deux vues de base (voir prérequis).
5. Erreurs à éviter
Mon objectif est de les inciter à consulter le tableau des erreurs de façon à ce qu’ils les évitent lors du travail demandé.
C’est ici que va maintenant réellement s’appliquer la pédagogie différenciée.
Des questions de ce type émanent des élèves:
« Par où dois-je commencer ? ».
« Cette pièce est difficile, vous êtes fou de nous donner ça !».
Je leur réponds : « Je ne suis pas fou!, vous allez tous savoir réaliser ce dessin, faites-moi confiance ! Nous allons d’ailleurs commencer par tracer les trois rectangles de construction comme vous le faites d’habitude en dimensionnant les vues par rapport à la surface de la feuille ».
La magie opère, ils se mettent tous au travail. Cette petite phrase de structuration du travail par étape élémentaire semble les rassurer.
Je commence alors au tableau à dessiner les trois rectangles de construction, de façon à les mettre en confiance. En fait, ils savent le faire mais l’amorce par le professeur est un excellent moyen de susciter la motivation et le prolongement du travail.
Je leur demande à ce moment de dessiner ce qu’ils savent c’est-à-dire les deux vues de base avant de s’attaquer à la vue en coupe.
A ce stade, chacun m’appelle plus pour se sentir en confiance en me demandant le grand classique : « C’est bon, Monsieur ? ».
… l’un, me demande : « Comment dessiner l’alésage central et le lamage ? » (Matière vue en 4ème année) ,
… l’autre : « Comment réaliser les cotations et où les positionner ? » ,
… un troisième : « Comment dessiner l’évidemment situé au niveau du socle ? » ,
… un quatrième : « Quelle est la hauteur totale de la pièce, Monsieur ? » (cette question peut paraître évidente mais il faut effectuer un calcul sur base d’un rayon).
A chaque fois, je me déplace vers l’un , puis vers l’autre pour répondre à leur question personnelle en essayant de leur faire comprendre le concept par un schéma s’ils sont visuels, une explication s’ils sont auditifs ou encore un exemple avec un objet de la classe s’ils sont kynesthésiques. Si deux élèves sollicitent simultanément ma présence, je vais d’abord vers le premier en demandant à l’autre d’attendre, ce qui est d’ailleurs très bien perçu, mon rôle est devenu celui d’un guide, je réponds à leur question pour leur permettre d’avancer dans leur travail…
Kévin me regarde et me dit : « je ne comprends pas ce que je dois faire !».
Je lui réponds : « Te souviens-tu de ce que tu faisais en quatrième ? C’est exactement la même chose ». Je prends son crayon et je démarre le socle en lui expliquant la vue qu’il est en train de faire et la correspondance de son trait continu sur la vue 3D. Ca y est !, il continue seul…
Ils évoluent à leur rythme et la première question surgit sur la fameuse coupe ! , ma méthode reste en adéquation avec le début :
« Prends les feuilles de théorie pour t’aider » lui dis-je. « Ensuite, tu me poses la question où tu cales et non pas une quetion vague s’il te plaît».
L’un y parvient, l’autre aussi, un troisième butte et je lui dis à ce moment « Grégoire peut t’expliquer, va t’asseoir à côté de lui ! ».
Ce qu’il fait de suite ; Oh !, Grégoire est très bon et se sentant valorisé au rang de professeur explique simplement à Benjamin comment réaliser la coupe… .On pourrait croire qu’il recopie bêtement, il n’en est rien !, ils se posent réellement leurs questions.
Je leur avais précisé qu’à l’examen, copier sans comprendre leur serait fatal et qu’il devait prendre le temps de comprendre à leur rythme. La stratégie du bête copiage, ils ont de suite compris que ce ne serait pas rentable pour eux vu la pondération non négligeable des examens de juin.
Jérôme est un èlève de cette classe, jugé jadis turbulent et non appliqué par les enseignants lorsqu’il était en 3ème professionnel, son comportement est exemplaire à mon cours. Pourtant, j’ai eu une fois une discussion avec lui car il ne comprenait pas pourquoi il avait reçu un ‘6/10’ à un dessin alors qu’il estimait au moins un ‘8/10’. Il me dit furieusement : « Dites-moi où sont mes erreurs , je ne les vois pas ! » .
A l’époque, j’avais pris mon temps de lui souligner chaque erreur, une dizaine sur son dessin. Je ne pouvais pas par esprit d’égalité vis-à-vis des autres lui mettre plus que cette cote et j’estimais que c’était très bien coté pour deux raisons : 1) beaucoup d’erreurs techniques et 2) un manque d’assiduité en fin de scéance.
Ce manque se traduisait par des bavardages, au lieu de perfectionner son dessin, il se contentait de ce qu’il avait réalisé les premières heures, s’insurgeant même de ses cotes par la suite.
Maintenant, il a compris et je le vois travailler jusqu’à la fin. Il a vu que son niveau était effectivement de l’ordre de 80-85% s’il se donnait à fonds et non par approximation. Il me demande à cet instant : « Monsieur, que pensez-vous de ma coupe ? » .
Je regarde son dessin avec attention. De suite, je vois une erreur se retrouvant sur la feuille des erreurs à ne pas commettre et je lui dis : « Jérôme, va revoir la feuille où se trouvent les erreurs classiques et ensuite dis-moi si tu la trouves ? ».
Kévin arrive finalement à la réalisation de sa coupe, je l’ai aidé et lancé sur ses deux premières vues réussies, il semble se battre en me posant des questions … .
A ce moment, j’ai déjà donné un autre travail aux élèves plus rapides sur une nouvelle pièce à réaliser en coupe. Kévin mettra deux heures pour arriver à terminer son travail, en m’appelant rien qu’à lui seul presque 20 pour-cent du temps, avec quelques erreurs ci et là.
Jérôme me rappelle et je lui dis : « Pourquoi dois-je te dire d’aller consulter les feuilles alors que tu pourrais le faire toi-même et que tu as trouvé la solution ? ». Oh! je fais ça pour une seule raison, apprendre à être un minimum autonome. C’est plus de la méthodologie à leur inculquer que réellement un savoir intellectuel à leur transmettre car je vois qu’il a su l’appliquer seul.
Le cours se termine et je leur souhaite un bon week-end.
Lors du cours suivant, le lundi matin, je demande d’entrée à Kévin d’aller réaliser au tableau sa vue de coupe (Technique du croisement).
Avec la latte d’un mètre, il commence à dessiner la coupe (1cm sur sa feuille = 10cm au tableau). Je reprends toutes les copies en demandant ensuite à la classe d’énoncer les points positifs, dans un premier temps ; et de chercher les erreurs afin de proposer les corrections, dans un second temps.
L’un se manifeste : « il ne faut pas de trait plein à cet endroit… ».
« Pourquoi ? » lui dis-je.
« Et bien car … » dit Sébastien.
Je regarde Kévin à ce moment et je fais venir Sébastien au tableau pour lui expliquer où est l’erreur.
La scéance se termine finalement par la correction finale de la vue sur base de cinq interventions qui ont chacune nécessité soit un rappel théorique, soit une explication de l’un à l’autre.
Lors du dessin suivant, j’ai observé que Kévin n’avait refait qu’une seule des cinq erreurs détectées au niveau de la précédente coupe.
A ce moment, j’ai eu un autre déclic, je me suis dit : « Finalement, ils ont tous réalisé le ‘corps de butée’ sur papier, pourquoi n’irais-je pas consulter le professeur de TP-Usinage pour qu’il réalise cette pièce à l’atelier ? ». Mon idée fut très bien reçue par le maître de TP usinage, il alla même jusqu’à couper une des pièces en deux pour comparer la coupe réelle de la pièce et la vue en coupe sur papier.
Ø Critères d’évaluation
L’évaluation finale du dessin s’opère en tenant compte du travail individuel de chacun, du niveau d’implication de l’élève et des questions posées durant le travail graphique (aspect formatif à raison de 30% de la pondération finale) ; mais également d’une appréciation globale du travail rendu sur base des critères définis ci-dessous (aspect sommatif à raison de 70% de la pondération finale) :
§ Les vues techniques demandées (45% du global)
§ La cotation des vues (15% du global)
§ La présentation générale et le soin (10% du global)
Notons que pour être performantes et motivantes, les méthodes d’évaluation doivent varier et ne pas être toujours du même style que celle décrite ci-dessus :
ü Proposer de réaliser un travail à domicile du même type en fixant une date limite (deathline) pour rendre le travail.
ü Proposer également un travail de groupe, par deux par exemple, sur un dessin de format A3.
ü Demander de réaliser une recherche individuelle sur un sujet (par exemple sur l’utilité du corps de butée lui-même).
ü Demander aux élèves d’interroger un parent ou un expert sur le sujet étudié et de réaliser un petit compte rendu d’une demi-page par exemple, qu’il viendra ensuite commenter devant la classe.
3.3 Métacognition
Malgré une nécessité de guidage individuel visant à les rendre autonome avec un niveau d’indépendance adapté, il faut néanmoins faire attention à ce que ces situations d’individualisation n’aboutissent pas aux résultats inverses de ceux qu’elles visent : qui seraient de confiner l’élève juste à ce qu’il sait faire, à ne proposer à chaque élève que des outils et des situations adaptés à sa démarche intellectuelle et des méthodes modulées à son rythme de travail. Cette façon de procéder risquerait de l’enfermer dans des pensées le rendant intolérant à toute nouvelle méthode.
Par ailleurs, si je sais à ce moment que je détiens la clé d’un dispositif avec lequel je me sens en harmonie, je risque, en tant qu’enseignant, de contribuer à la paralysie du système d’éducation en me dirigeant vers un monolithisme méthodologique.
En fonction des résulats et d’indices divers, une méthode est toujours sujette à être réadaptée par le maître, voir entièrement changée afin d’envisager les réajustements nécessaires qui doivent s’opérer.
Un autre danger de la pédagogie différenciée est de freiner les plus rapides à apprendre à travailler encore plus vite.
Enfin, aussi différenciée soit-elle, cette pédagogie ne sera pas efficace si les contenus ne tiennent pas compte des expériences et des intérêts des apprenants. Il faut au maximum donner du sens à son cours en utilisant des techniques variées (parole, écriture, schéma, réalisation…).
L’exploitation des perceptions libres, en début et pendant le cours, ne peut être pleinement efficace dans leur analyse que par une formation solide de l’enseignant, un apport notionnel et une expérience pratique probante.
Dans les cours techniques, il ne faut pas oublier qu’il existe un lien important entre chaque discipline et il est difficile de confiner un apprentissage à ses propres limites d’objectif.
Pour permettre le décloisonnement, le professeur doit savoir faire les liens entre les différents cours, il peut ne pas être compétent pour expliquer un concept hors cadre de son cours, mais il doit au moins, dans ce cas, savoir orienter l’élève vers une autre ressource adaptée du corps des professeurs.
Sylvie Mersch nous le confirme en disant : « Même si les régents ont une aisance pédagogique et une qualité d’écoute des besoins, ils ont bien souvent des difficultés à tirer pleinement profit des perceptions libres car le niveau de connaissances requis dépasse parfois les frontières d’un seul et unique cours ».
Après tout, la véritable pédagogie différenciée n’est-elle pas celle qui s’adapte aux besoins des apprenants mais aussi à leur itinéraire individuel de formation induisant la mise en commun des savoirs des professeurs ?.
4. Conclusion
La pédagogie est une arche entre l’apprenant et le savoir. Partir de l’apprenant par ses intérêts et ses besoins facilite grandement le voyage périlleux de cette arche à travers vents et tempêtes… .
Des études démontrent que dix pour-cent en moyenne d’une classe, les ‘bons élèves’ tirent leur épingle du jeu dans toutes les situations d’apprentissage ; pour les autres , le « guidage » semble une solution pertinente.
A partir du moment où l’on désire fournir à tous un tronc commun de connaissances générales à l’intérieur d’une classe hétérogène (différence intellectuelle, différence sociale, différence de culture,…), la différenciation de la pédagogie n’a pas à être source d’hésitation, elle s’impose. Elle est une dynamique qui n’est jamais entièrement achevée et qui se remet en question perpétuellement .
C’est l’effort du maître qui communique à l’apprenant la conviction que quelque chose est possible ; c’est son action pour travailler à ses côtés à atteindre l’objectif qui lui suggère la confiance en ses capacités et l’incite à fournir, lui-même, les efforts pour s’en montrer digne.
La différenciation de la pédagogie est le seul espoir de faire atteindre à l’ensemble des élèves le niveau cognitif souhaité, tout en répondant de façon tactique aux aspirations et capacités personnelles des apprenants .
Pour elle, tout ne se vaut pas dans la mesure où tout n’est pas ‘bon’ pour tous les élèves.
« Toute explication doit être une réponse par rapport à un besoin exprimé ».
Claparède
« Différencier la pédagogie, c’est rendre suffisamment de pouvoir aux élèves pour lutter contre la passivité de leurs maîtres ».
Meirieu P.
« Rien n’est jamais figé à l’avance, figer l’apprenant serait de ne pas remplir la mission pour laquelle le pédagogue est formé.
Il se doit de tout tenter pour que surgisse l’étincelle (sans cela, Gianni n’aurait pas réussi Polytechnique)…».
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